Bovin viande : jusqu’à 300 000 € d’écart entre la valeur économique et patrimoniale des fermes
Après plusieurs décennies de capitalisation se pose la question de la transmission des élevages allaitant français. Avec des structures qui ont grandi et des EBE qui sont restés au niveau, certains exploitants peinent à transmettre leur ferme à leur valeur patrimoniale.
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Si la hausse du prix de la viande bovine apporte une bouffée d’air frais à l’élevage allaitant, certains s’inquiètent : « vu le prix des vaches, les jeunes auront du mal à s’installer » entend-on dans les campagnes.
Il est vrai qu’en quelques années, la valeur des vaches est montée en flèche. « Sur la semaine du 14 juillet, les prix entrée abattoir étaient à 6,68 €/kg carcasse. Si l’on enlève les frais d’approche, on arrive à 6,43 €/kg carcasse. Cela fait la Charolaise de 430 kg à 2 765 € », explique Delphine Breton, chargée de mission bovin viande pour la Chambre d’agriculture des Pays de la Loire.
280 000 € pour un cheptel de 70 vaches et son renouvellement
Pour vivre correctement de son atelier allaitant en système naisseur conventionnel dans l'Ouest, les références des réseaux Inosys montrent qu’il faut compter dans les 70 vêlages par UMO pour une rémunération à hauteur de 2 Smic par UMO. « 70 vaches à ce niveau de prix, cela représente 193 550 € », poursuit la conseillère.
D’autant qu’à l’installation, il ne s’agit pas simplement d’acheter des vaches, mais également toute la suite. « On évalue généralement la valeur d’une vache gestante ou avec son veau en ajoutant la moitié de la valeur du broutard. Compter également une cinquantaine de génisses… ». En d’autres termes, le repreneur aura entre 280 000 et 300 000 € à débourser pour reprendre un cheptel fonctionnel avec 70 vêlages et toute la suite.
Au troupeau s’ajoutent les bâtiments et la mécanisation, voire les stocks. Car si l’on entend des inquiétudes autour du prix des vaches, la valeur des autres postes a également augmenté en proportion. « Le cheptel se maintient toujours à 45-50 % de l’actif mobilisé hors foncier par UMO. Tout a augmenté. La principale différence, c’est qu’aujourd’hui les jeunes ne s’installent pas avec 25 vaches », constate Delphine Breton.
Ainsi, la valeur du capital, hors foncier sur une structure de 70 vêlages dépasse facilement les 600 000 €.
De grandes différences entre valeur patrimoniale et économique
Or aujourd’hui, « on observe une grande différence entre la valeur patrimoniale des structures et leur valeur économique ». Pour la conseillère, il est important de regarder son EBE avec en arrière plan le capital investi, et ce, tout au long de sa carrière. « La meilleure pub qu’on puisse faire pour sa ferme, c’est de dire au repreneur que s’il vient chez moi, il déboursera 5 € de capital pour générer 1 € d’EBE. En bovin allaitant dans les Pays de la Loire, on est plus sur 8 € de capital pour 1 € d’EBE ».
Un EBE de 75 000 € permet une valeur de reprise de 377 000 €
Si une ferme avec 70 vêlages par UMO a un EBE moyen de 75 000 €, cette donnée conditionne sa valeur de reprise. « La banque va regarder l’EBE, déduire les prélèvements privés ainsi qu’une marge de sécurité, et cela donnera le solde disponible pour annuité ». Compter alors 44 000 € de disponibles sur notre structure fictive, ce qui donne un montant de capital empruntable de 427 500 € sur 12 ans (prêt à 3,5 %). « On déduit généralement du capital empruntable 50 000 € dédiés aux investissements de modernisation, il y a toujours des petits travaux à entreprendre lorsqu’on débute », précise Delphine Breton. Si bien qu’avec un EBE de 75 000 €, le futur installé pourra financer un capital de reprise d’une valeur de 377 500 €.
« Dans ces conditions, on se retrouve avec un décalage de 200 000 à 300 000 € entre la valeur patrimoniale et la valeur économique », alerte la conseillère. Impossible pour le cédant de transmettre son exploitation en évaluant son cheptel au prix du gras. Il devra soit vendre ses bêtes pour la viande, soit baisser les prix pour transmettre. Une négociation devra avoir lieu avec le reprenneur.
Avec 110 000 € d’EBE, une reprise potentielle à 671 000 €
Par contre, si la même structure est capable de sortir 110 000 € d’EBE par UMO, « ça change la donne », poursuit la conseillère, simulation à l’appui. « On se retrouve avec 74 500 € de disponible pour annuités, ce qui en intégrant quelques investissements de modernisation, donne un montant de reprise de 671 500 € ».
Autrement dit, il faut que l’exploitant montre la rentabilité de son capital pour envisager une cession. Mais un EBE à six chiffres, « ce sont des prélèvements par la MSA ou par les impôts », admet Delphine Breton. « Il faut faire évoluer les mentalités en matière de stratégie fiscale et sociale tout au long de la carrière ».
Cette logique peut même permettre de voir le métier d’éleveur autrement. « Si j’ai une structure qui affiche de bonnes performances économiques, elle ne sera pas difficile à transmettre. Cela donne d’autres perspectives à l'éleveur sur la gestion de sa carrière. »
Le croît interne du cheptel pèse sur la trésorerie
Pour s’installer, certains misent également sur le croît interne de leur cheptel. « On voit souvent des jeunes reprendre partiellement le troupeau, avec par exemple 40 vaches pour limiter le recours à l'emprunt et remonter ensuite le cheptel ». Si la solution peut sembler tentante, elle demande un très gros effort de trésorerie pendant les 5 à 7 premières années, alors que le repreneur doit déjà supporter le poids de la reprise (annuités) et fait face aux aléas.
« Nous avons estimé l’effort de trésorerie au minimum 86 000 € sur 5 ans pour passer de 40 à 70 vêlages », avertit Delphine Breton. Monter en cheptel, c'est vendre moins de réformes. Autrement dit, avoir moins de rentrées d’argent, avec davantage de charges. « On est sur des éleveurs qui se prélèvent très peu de revenus, et qui vivent parfois grâce au travail du conjoint ».
Les leviers pour améliorer son EBE
Mais la conseillère en convient, on ne gagne pas 40 000 € d’EBE aussi facilement que cela ! « Le premier levier pour moi, c’est la maîtrise des charges puis la gestion des animaux improductifs ». Le premier poste de charge pour produire de la viande bovine reste la mécanisation suivie de l’alimentation achetée. Un vrai travail d’analyse doit être mené par les éleveurs.
Ensuite, l’éleveur doit viser un veau par vache et par an. « C’est la base, mais pas toujours pratiqué ». Pour ce faire, Delphine Breton propose de se pencher sur le nombre de veaux sevrés par vache présente. « Dans l’idéal, il doit y avoir plus de veaux sevrés que de vaches à l’année ». Autrement dit, les réformes doivent être envoyées à la viande en temps et en heure et la gestion des IVV ou encore de la mortalité doit être fine. La gestion de la reproduction doit être maitrisée par l’éleveur et non laissée à la seule responsabilité du taureau (âge au 1er vêlage, IVV, mortalité à la naissance).
Le vêlage deux ans peut également être un levier pour la reprise : pas besoin de financer deux générations de génisses.
Pour transmettre, Delphine Breton propose d’inverser les rôles. « Si je dois acheter mon exploitation aujourd’hui, quel capital de reprise puis-je financer, et qu’est-ce que je peux optimiser pour faire grossir mon EBE (maîtrise des charges, aides supplémentaires…) ». Une question qui permet à l’éleveur de s’interroger sur la transmissibilité de son exploitation tout au long de sa carrière. À défaut d’enclencher toutes les transformations, identifier les leviers potentiels que le repreneur peut activer : l’EBE et le projet technique sont optimisés et sécurisés dans la mesure du possible avec des contrats (prix-volume) tout en intégrant les aides et subventions associées au système (la bio, MAEC, ICHN). L’apport de fond personnel est également à prendre en compte.
Et surtout, « on évite de trop activer le levier fiscal qu’est l’amortissement pour réduire son résultat », insiste la conseillère. « Il ne faut pas avoir peur de montrer qu’on peut gagner de l’argent avec de l’élevage pour transmettre les fermes. Et cela, ça ne se décide pas un an ou deux avant la cession. Dégageons de la richesse avec les vaches, c’est la meilleure pub du métier d’éleveur allaitant pour que les moules à veaux restent chez nous ! »
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